« Quand on chute, pense Zoli, on ne chute pas à moitié »
Slovaquie, 2003. Le lecteur découvre ce qu'il suppose être un journaliste, en incursion dans un camp Rom à la recherche d'informations sur une insaisissable et mystérieuse Zoli. On n'en saura pas plus et, tout comme lui sûrement, on ne peut s'empêcher de se demander que diable allait-il faire dans cette galère, tant le camp est décrit de manière apocalyptique et décadente. Description plus vraie que nature ou aussi vraie qu'un cliché ? Pas le temps de se poser davantage la question, le lecteur est aussitôt transporté dans le passé et rattrapé par l'Histoire. Cette histoire trop souvent passée sous silence, oubliée, romancée parfois : celle du peuple Rom, de sa persécution par les nazis puis de sa stigmatisation par les Communistes sous couvert d'évolution forcée et de lutte contre le primitivisme. Celle aussi de leur mise au ban de la société encore aujourd'hui, sous tout un tas de prétextes plus ou moins enrobés d'humanisme, d'universalisme et de bonne volonté.
On tremble face à l’implacable garde Hlinka, milice slovaque proche du nazisme, et on rencontre enfin la fameuse Zoli, encore enfant. On l'accompagne sur les routes avec son grand-père, un personnage haut en couleur, communiste jusqu'au bout des ongles, qui apprend à lire à sa petite fille tout en lui rappelant que la lecture et surtout l'écriture vont à l'encontre de leur loi ancestrale. Mais Zoli aime chanter et n'a que faire des traditions. Elle se coupe les cheveux et court après la liberté. Se pourrait-il que ses vers deviennent porte-paroles de son peuple, comme lui affirme un jeune traducteur anglais ? Et tous ses gadže, que voient-ils en elle exactement ? Est-ce l'histoire d'un amour ou l'histoire d'une trahison que nous livre ici Colum McCann ? L'errance de Zoli, à l'instar de celle de son peuple, sera longue et douloureuse, et si la rage de vivre reste chevillée à elle, plus d'une fois le lecteur souffre dans sa chair à la lecture de ce chemin de vie qui a tout du chemin de croix. Un chemin de croix qui traverserait toute l’Europe, de la Tchécoslovaquie à la France, en passant par la Hongrie, L’Autriche et l’Italie.
La multiplicité des points de vue, le va-et-vient permanent entre les époques et les lieux, entre le monde des Tziganes et des Gadje, les références historiques pas toujours connues, le refus de tout manichéisme, les mots non traduits dont on ne sait pas toujours s'ils proviennent du Romani, du Polonais ou du Slovaque- mais a-t-on besoin de savoir ?- tous ces éléments nous orientent non pas vers une compréhension linéaire de l'intrigue ni même vers une identification forte au personnage principal, qui nous reste étranger par bien des aspects, mais plutôt vers une appréhension globale de l'époque et de son atmosphère. Le roman n'a pas pour vocation de nous faire comprendre la culture Rom, l'auteur, Irlandais, n'étant d'ailleurs pas lui-même issu de cette communauté, mais plutôt de nous faire ressentir une part de son âme, à travers des fragments de chansons (réinventées pour l'occasion) et des images fortes. Alors c'est vrai, parfois on est perdu, on ne sait plus bien qui raconte, à quel moment et pour qui, mais on continue la lecture comme on écoute une chanson. S'impriment dans notre esprit les harpes enterrées, les pièces cousues dans les cheveux, les flûtes de glace, les bougies dans les pommes de terre, les nuits à la belle étoile. Mais aussi malheureusement les roues brûlées, les chevaux confisqués, les cheveux rasés, le parcage dans les tours. Et toujours, la police, les fermiers, les communistes, les journalistes, les autres. Toujours prêts à cracher, à violenter, à dénoncer, à trahir. Et parfois, quand même, à tendre la main. Et tout au long du roman, des choses que l'on comprend sans qu'elles soient dites, des allusions, des mots qui font sens mais ne s'appesantissent pas, qui restent parfois en suspens, refusant la complaisance.
Malgré le traditionnel avertissement « Ce livre est une œuvre de fiction, etc. etc. », une note de l'auteur, à la fin du récit, nous renseigne : la vie de Zoli est bel et bien inspirée de celle d'une chanteuse Tzigane : Bronislawa Wajs, dite Papusza, réputée comme la première poétesse Rom à avoir couché ses mots sur le papier, et dont l’œuvre fut ensuite récupérée et exploitée par les communistes. Les mots de Zoli y ressemblent mais ne sont pas les siens : C'est par respect pour le vœu de Papusza de ne plus jamais voir sa poésie imprimée que les vers de Zoli ont été recréés intégralement par Colum McCann, avec bien sûr le souci de restituer leur esprit originel.
Une œuvre à lire comme un témoignage, comme une chanson improvisée, comme un cri sourd et puissant. Une œuvre à lire, tout simplement.
« Toutes les épreuves, chonorroeja, portent en elles un éclat de rire »
Hélène Shayma Andreoli
Zoli - Colum McCann – Belfond – 08/2007 – 336 pages
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