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Photo du rédacteurPascal Francois

Yasmina Reza - invitée spéciale de La Grande Librairie du 7 Avril pour son dernier roman : Serge



Le moins que l’on puisse dire de Yasmina Reza, c’est qu’elle est une auteure rare sur les plateaux de Télévision. Sa dernière interview télévisuelle date de Septembre 2000 !


La Parution de « Serge », son dernier roman a été pour François Busnel l’occasion de l’inviter sur le Plateau de la Grande Librairie pour une heure d’entretien en tête à tête, afin de redécouvrir l’auteure et dramaturge, Prix Renaudot 2016 pour son roman « Babylone », et dont les œuvres sont aujourd’hui traduites en plus de 35 langues.


Je reviens aujourd’hui sur cet entretien passionnant et levant une partie du voile sur Yasmina Reza qui n’aime pas parler d’elle, disant que cela n’a que peu d’intérêt, et bien sûr pour vous parler de « Serge » !



A propos de l’entretien :


Yasmina Reza est avant tout une femme de l’ombre, une femme de la solitude qui révèle sa pensée, sa vision des rapports humains, son regard critique sur la société, au travers de ses livres.


Si elle excelle dans l’art de mettre des mots sur les choses les plus intimes, la solitude, la fatigue, les ressentiments, la famille, ces choses dont d’habitude on ne parle pas ou que très peu, elle n’aime pas évoquer ces sujets. Elle le fait au travers de ses livres qui révèlent une perception extraordinairement fine de l’ambiguïté des rapports humains. Et à la peur d’être parasitaire dans ses explications plutôt que d’éclairer le fond du sujet, elle préfère le silence.


Francois Busnel évoque au cours de l'entretien la pièce « Art », parue en 1994, l’un des plus grands succès de l’auteure. La pièce évoque le moment où, pour trois amis extraordinairement proches, presque des frères, tout bascule. Ils se chamaillent, se disputent à propos de quelque chose qui vient de l’extérieur.


Ce thème du basculement est pour Yasmina le cœur même de ce qui l’intéresse dans l’écriture.


« Je crois à l’empire des nerfs, je crois que nous sommes gouvernés par l’empire des nerfs. Je ne crois pas que l’on soit gouverné par la raison » précise-t-elle. « La morale s’arrête là où commencent les nerfs, c’est à dire nos impulsions, notre nervosité, nos impatiences, nos injustices ». « Et toutes les paroles édifiantes s’écroulent quand arrive l’empire des nerfs ». « La sagesse, la vertu sont une fausse valeur que l’on nous vend en permanence ».


L’entretien se poursuit et l’auteure livre peu à peu sa pensée, parfois difficilement, au détour d’une question de Francois Busnel, en écho à sa volonté farouche de discrétion, de rester derrière son œuvre.


« Je ne crois pas que la littérature soit là pour améliorer quoique ce soit, ni pour réorganiser le monde »


« Ma démarche c’est critiquer l’existence ça n’est pas de raconter des histoires ou vouloir que le monde soit meilleur ». Pour elle « Tout peut prêter à rire. Je ne cherche pas à faire rire, le rire est là. Ce n’est pas que je veux rire de tout, je pense qu’on peut rire de tout ». « Le rire est une fonction vitale, il n’y a pas d’interdit dans le rire, comment voulez-vous qu’il y en ait ? »


On ne peut pas terminer cette partie entretien sans évoquer l’échange entre l’auteure et Francois Busnel sur Auschwitz, et le devoir de mémoire, l’identité.


Pour Yasmina Reza, de famille juive, « Auschwitz d’aujourd’hui n’est rien, c’est un lieu une lande de terre portée par un nom tragique mais qui n’a strictement plus rien à voir avec ce qu’il a représenté autrefois ».


Quand Francois Busnel lui demande si son identité n’a rien à voir avec un père russe, d’origine iranienne, mariée à une femme juive d’origine hongroise, et venu en France pour fuir le communisme, Yasmina Reza lui répond « l’identité, c’est l’identité personnelle que l’on se forge soi-même. Elle n’a rien à voir avec la culture, les racines ». « Mon identité a peut-être à voir avec leur identité à eux mais pas leur appartenance à tel groupe ou communauté. »


C’est une prise de position très forte, que l’on peut ne pas partager, mais qui est très intéressante car elle éclaire le personnage qu’est Yasmina Reza, sa quête de sens, et son rapport à la vie. En cela il se doit d’être respecté.



A propos de Serge :


Avec Serge on retrouve tous les thèmes chers à Yasmina Reza, la famille, la fratrie, le déchirement, le questionnement, la mémoire, et le devoir de mémoire.


Le livre part d’un moment de rupture, celui du décès de Marta, la maman d’une fratrie de 3 frères et sœurs. Au delà de la première scène du livre, à la fois comique et dérangeante, le livre nous entraine dans une tranche de vie familiale où seront abordées les thématiques chères à Yasmina Reza.


Bienvenue chez les Popper, une famille juive d’origine hongroise non pratiquante ayant eu des ancêtres déportés : Jean ( le narrateur), Serge ( le frère chef de clan), et leur sœur Anne, que tous appellent Nana, et qui a épousé un « Goy » au grand dam de son père.


Yasmina Réza établit au début du roman un chassé-croisé de dialogues nous faisant progressivement découvrir les différents personnages qui gravitent dans le roman. On est là au cœur de l’excellence d’écriture de l’auteure qui dévoile sans jamais révéler, l’intime, les failles, les ressentiments de chacun avec parfois des décalages inattendus et surprenants. Et si le livre est un roman, il y a un peu de théâtre dans tout cela, comme pour rappeler la dramaturge qu'est l'auteure…


Cette famille juive qui n’a reçu aucune éducation religieuse de la part de leur mère se lance dans un voyage à Auschwitz-Birkenau, à la demande de Joséphine, la fille de Serge. Personne n’a vraiment envie d’y aller, mais tout le monde répondra présent pour le départ. Quel sens donneront ils à ce voyage, sera-t-il un simple voyage touristique ou bien un voyage mémoriel en souvenir de leurs ancêtres ?


Le cœur du roman est là. Alors qu’Anna et Joséphine sont à la recherche de leur passé familial, Serge se rebelle et trouve le voyage inutile, Jean lui est dubitatif voir désabusé… Ce voyage à Auschwitz est l’occasion pour l’auteure d’évoquer le sujet brulant du devoir de mémoire, montrant une famille sans émotion face à la tragédie du lieu. Elle transforme ce voyage en visite de parc d’attraction avec les touristes débarquant par cars entiers, avec leurs perches à selfies…


Provocation feinte ou pensée cachée de l’auteure, le livre dérange et force se poser des questions auxquelles il n’y a peut-être pas de réponse… Doit-il y a voir à tout prix un devoir de mémoire ? Quel sens lui donner quand il n'y a plus ou presque de survivant de cette époque ?


Au cours de l'entretien Yasmina évoque ce sujet difficile et complexe et nous dit que pour elle un lieu de mémoire doit être un lieu d'histoire. Selon elle le mot mémoire est mal employé. Le devoir de mémoire doit être pour elle un devoir de savoir.


La mémoire, émotionnelle, personnelle serait-elle réservée à ceux qui ont vécu l'évènement et peuvent s'en souvenir ?


Le livre traite sur le ton de la tragi-comédie un sujet grave et sérieux. Cela est rendu possible par l'écriture de Yasmina Reza, nerveuse, corrosive, douce-amère, qui met en scène avec brio les sujets de vie qui la hante depuis trente ans, au travers de personnages dont certains sont gouvernés par les Nerfs.


Serge est un roman, mais il a parfois des allures de pièce de théâtre avec des scènes dignes d’être jouées devant des spectateurs en attente du dénouement.


J’ai aimé ce livre car il nous embarque vraiment dans un autre univers psychologique à la fois proche et lointain de notre quotidien, parfois déroutant et complexe à dénouer. Est-ce là un jeu de l'auteure pour nous rendre encore plus captifs ?


Mais c’est probablement ce qui fait la force du livre au-delà des différents sujets abordés qui prêtent à réflexion.


Bonne Lecture


Aux Editions Flammarion – 01/2021 – 240 pages

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