Habitué des romans de Yasmina Khadra (Ce que le jour doit à la nuit, les Hirondelles de Kaboul, l’attentat, la dernière nuit du Raïs, Pour l’amour de Sarah Ikker ) je me suis laissé tenter par ce nouvel opus.
Et là surprise, avec « Pour l’Amour d‘Elena » Yasmina Khadra quitte son univers habituel pour nous conduire dans le cartel mexicain de la drogue, s’inspirant d’une histoire vraie. Peut-être est-ce une réminiscence du temps où il a vécu au Mexique ?
Diego et Elena s’aiment, d’un amour pur, platonique. Ils sont jeunes, et Elena est pieuse.
« On ne s’embrassait pas encore sur la bouche – Elena était pieuse comme sa mère – mais nos deux cœurs n’en faisaient qu’un »
On les appelle les fiancés au village. Dans celui-ci, l’Enclos de la Trinité, il ne se passe jamais rien. Jusqu’au jour du drame : Elena est violée sous les yeux de Diego sans qu’il ne réagisse. Le rêve se brise, Elena finit par fuir le village.
« Elena était partie parce que je n’avais rien fait du tout, alors qu’un geste de ma part, ce jour-là dans les ruines, aurait peut-être suffi à rendre les blessures supportables »
Avec son cousin Ramirez, Diego part à sa recherche à Ciudad Juarez Il n'a qu'une obsession, effacer sa lâcheté et retrouver l'amour de sa vie. Pour Ramirez c'est aussi l'occasion d'en finir avec ce "trou à rat" où "on moisit au milieu des toiles d'araignées" et où "on crève comme des cafards" qu'est pour lui l'Enclos de la Trinité.
Diego n’aura de cesse de la retrouver, mais pour cela il devra renier ce qui l’a construit depuis qu’il est né, et plonger en enfer … Ce roman est l'expression dramatique d’une rédemption qui passe par un détour en enfer, celui de l’univers de la drogue des cartels mexicains.
C’est un roman noir, très noir où la violence est omniprésente, chaque jour, à chaque coin de rue, avec son cortège habituel de misère, de corruption, de drogue, de viols, de meurtres, de massacres de désespérance. La dimension descriptive du livre est forte et on vit toutes ses scènes de violence de près. Juarez est devenue une ville ou Dieu n’a plus droit de cité…
Chaque personnage suit son propre chemin de croix, de violence, sans savoir ce que sera demain, sans savoir s’il y aura un demain…
Malgré cela Diégo, ne lâche pas prise, et continue à chercher Elena dans cet enfer, d’espoirs déçus en fausses joies …
On est très loin du style habituel de Yasmina Khadra, des approches culturelles et philosophiques qui sont les siennes habituellement et constitue la trame de fond de ses romans. « Pour l’amour d’Elena » est un roman « hors cadre », qui ne répond pas à première vue aux codes que l’on est habitué à trouver.
Et je dois reconnaître que j’ai mis du temps à les retrouver. Il m’a fallu chercher, lire entre les lignes, regarder les personnages sous un autre angle pour m’apercevoir qu’en filigrane, chaque personnage vit sa propre rédemption, consciemment ou pas dans une vie qu’ils n’ont pas choisie mais qui est devenu leur quotidien.
Dans ce livre, où l’enfer de Juarez est omniprésent il y a cette petite lueur de quête de l'estime de soi, de résilience… ce qui fait le sel des romans de Yasmina Khadra. L’espoir est toujours présent quelque part…
Malgré le chemin de rédemption de Diégo, Elena reviendra-t-elle vers lui ? Lui qui le pire jour de sa vie n’a pas bougé le petit doigt pour elle… ?
Un roman noir et d’espoir sur la condition humaine en quelque sorte… C’est ce qui fait tout l’intérêt de ce livre qui peut sembler déroutant au début quand on est habitué à l’auteur.
Ce n'est probablement pas le meilleur roman de Yasmina Khadra. On est loin de la poésie des Hirondelles de Kaboul, de la saga historique de Ce que le jour doit à la Nuit. Cependant Pour l'Amour d'Elena nous montre que même en enfer, il y a toujours une lueur d'espoir pour qui veut la saisir !
Bonne lecture !
Pascal Francois
Pour l’Amour d’Elena – Yasmina Khadra – Éditions Mialet Barrault - 03/2021 – 336 pages
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