En réponse salutaire à un enchaînement de lectures un peu décevantes, Eric-Emmanuel Schmitt est une de mes valeurs littéraires refuges. Ce singulier roman, déniché dans la bibliothèque de ma maman, n’a pas fait exception à la règle.
Un jeune homme ordinaire, sur le point de mettre fin à ses jours, est sauvé de l’acte irréparable par Zeus-Peter Lama, l’artiste le plus en vue de la scène contemporaine. Mégalo, dominateur, arrogant, ce dernier lui propose un pacte insensé : abandonner son statut d’être humain et devenir sa propriété. En échange, avec la complicité d’un maniaque du bistouri à sa solde, le créateur illuminé promet de faire de lui une œuvre d’art connue et admirée du monde entier.
Comme il en a l’habitude dans nombre de ses romans, Eric-Emmanuel Schmitt choisit la voie du conte, de la fable surréaliste pour nous livrer une œuvre à plusieurs niveaux de lecture. L’intrigue est rythmée, riche en rebondissements et cohérente dans sa magistrale absurdité.
L’auteur, sans craindre de forcer le trait, met en scène la vanité humaine et l’égocentrisme dans ce qu’ils ont de plus abject, de plus ridicule, aussi. La fatuité du milieu de l’art contemporain et le snobisme de ses adeptes sont, certes, caricaturaux, mais on ne peut s’empêcher de sourire à la lecture de certaines scènes, tant la fiction, si exagérée soit-elle, évoque immanquablement la réalité ; la description des différentes salles de l’exposition « The Body Art Exhibition », par exemple, est un petit bijou d’humour grinçant.
On s’attache rapidement à ce malheureux héros, victime consentante d’abord, puis révoltée ; on s’identifie d’autant mieux à sa détresse que l’auteur a réussi le tour de force de ne jamais décrire, mais uniquement suggérer sa monstruosité. Une autre façon d’affirmer que l’apparence n’importe pas, et que seule compte la beauté intérieure. Dans cette fable manichéenne où, comme toujours chez Schmitt, la symbolique est au premier plan, on ne s’étonnera pas non plus qu’un aveugle joue un rôle-clé dans la reconnexion du héros à son humanité.
Un roman un peu inclassable, donc, satire d’une société où l’être s’est effacé depuis longtemps au profit du paraître, où le génie commercial supplante le vrai talent et où cynisme et médiocrité sont les atouts premiers du succès…
Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? En tout cas, de mon point de vue, c’est une réussite.
Catherine Rolland
Lorsque j’étais une œuvre d’art – Eric Emmanuel Schmitt – Albin Michel – 08/2002 – 294 pages
Retrouvez Catherine Rolland sur son blog : www.catherine-rolland.com
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