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Photo du rédacteurIsabelle Roux

Les vestiges du jour - de Kazuo Ishiguro


Si vous n’avez pas lu Les vestiges du jour (The remains of the day, paru en 1989), je vous le conseille vivement.


Ce chef d’œuvre de la littérature, couronné du Booker Prize (le Prix Goncourt anglais) a valu à son auteur le Prix Nobel de Littérature en 2017. Il est plutôt vite lu, facile d’accès, avec des péripéties intéressantes. La traduction française est très réussie.


Kazuo Ishiguro, britannique, né en 1954 à Nagasaki, a déménagé près de Londres à l’âge de six ans suite à une mutation de son père. Pour ceux qui ont lu ou vu Never let me go (Auprès de moi toujours), l’histoire de jeunes clones élevés pour servir à des dons d’organes, cette lecture est beaucoup moins éprouvante.

Mais venons-en au fait.


Stevens, majordome vieillissant, a passé sa carrière à Darlington Hall, obsédé par l’objectif de remplir sa tâche à la perfection. Il a successivement servi Lord Darlington, un aristocrate britannique ayant eu quelques liens trop appuyés avec le régime nazi, puis, après le décès de celui-ci, un Américain, Farraday, qui a racheté le domaine et les domestiques « comme un même lot ». Celui-ci, qui se veut direct et plus ou moins cordial avec son personnel, lui accorde quelques jours de congés, en lui payant l’essence et en lui prêtant sa Ford de collection.


Après quelques hésitations, Stevens part retrouver l’ancienne intendante de la maison, Miss Kent, qui avait raccroché son tablier vingt ans plus tôt pour devenir Mrs Bens, et qui lui a écrit pour lui annoncer sa séparation d’avec son mari. Il est utile de préciser que si Stevens se décide à ce voyage, c’est pour rendre service à son employeur dont il juge qu’il a besoin d’une employée supplémentaire, pas le moins du monde car il a des sentiments pour elle. Le voyage est source de réflexions sur sa vie à Darlington Hall : sa relation avec les autres « Grands » majordomes de son époque, avec ses employeurs, avec son père, et, surtout, avec Miss Kenton.


Sa profession est pour Stevens la fin ultime, et il incite même le lecteur (ou la lectrice !) à tenir la maison au cordeau... Le sommet de la dignité, question centrale du livre, est atteint par son père lorsque ce dernier parvient à servir toute une semaine l’homme qu’il déteste parce que responsable de la mort de son fils aîné à la guerre. Mais qu’est-ce que la dignité ? S’oublier à l’extrême ? Oublier les siens pour mieux servir son employeur ? Manifestement pour Stevens, oui. Être digne de respect consiste pour Stevens à ne jamais laisser transparaître le vrai « moi », la personne privée derrière l’employé, alors qu’à notre époque ce serait plutôt le contraire, ne pas oublier le respect qu’on mérite en tant qu’individu avant le fait qu’on est un salarié. Au final il est satisfait de ses choix (il « triomphe » souvent après le départ d’un proche), et ne les remet pas consciemment en question. Kazuo Ishiguro nous fait magnifiquement sentir que Stevens se trompe, sans quitter le point de vue du majordome, et on le comprend d’autant mieux qu’on lui pardonne ses erreurs qu’il paye chèrement.


Ce livre dégage une force apaisante, un certain calme, au moins en apparence. Touchant, il met au premier plan et rend visible un invisible dans une société très hiérarchisée. Il émane un charme qui n’est pas sans rappeler celui de Downtown Abbey par certains aspects. Si vous préférez le cinéma, vous pouvez regarder l’adaptation de 1990 admirablement portée par A. Hopkins et E. Thompson.


Ce que j’ai aimé dans ce livre :

- Comme dans la plupart des livres de Kazuo Ishiguro, la bonté, le fait d’aimer autrui est la solution, la clé du problème.

- La nostalgie et la profondeur de Stevens, dont on ne sait s’il souffre de son addiction au travail ou s’il est réellement satisfait de sacrifier sa vie privée.

- Le problème de choisir sa priorité entre son travail et sa famille ou sa vie privée s’est posé finalement à bon nombre d’entre nous. On se surprend, devant un excès de maniaquerie au travail que nous serons seuls à remarquer, à repenser à Stevens. Sonne finalement comme une mise en garde la morale de cette histoire qui pourrait être : « à trop choisir son métier on finit sa vie tout seul. » Avec des regrets ? Je ne sais pas si Stevens en aura.


Isabelle Roux


Les vestiges du jour - Kazuo Ishiguro - Folio poche - 2010 -352 pages



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