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Photo du rédacteurPascal Francois

Le Pays des Autres - de Leila Slimani


Dans la chronique du 3 Février, je vous parlais du roman graphique que venait de publier Leila Slimani « A mains nues » en hommage à Suzanne Noël, femme chirurgien plastique du début du XX° siècle, qui transforma la vie des Gueules cassées. ( voir la chronique )


Aujourd’hui je reviens vers l’auteure avec son roman « Le pays des autres », publié l’année dernière chez Gallimard.


Avec ce livre Leila Slimani nous emmène sur les terres natales familiales, et s’inspire de l’histoire de ses grands-parents.


Prix Goncourt 2016 pour son second roman « Chanson douce », l’auteure entame ici une fresque historico-familiale qui devrait se répartir en 3 tomes. Ce premier volume couvre la période 1946-1956.


Nous sommes avec assez loin des premiers ouvrages de l’auteure traitant de la bourgeoisie parisienne, quelque peu germanopratine. Et autant le dire, ce virage à 180° degré est plutôt réussi !


Alors en route pour un voyage qui va nous conduire de l’Alsace, à Meknès, ancienne capitale déchue du Maroc…


Amine, jeune marocain plein de fougue, est appelé à servir dans l’armée Française pendant la seconde Guerre Mondiale pour défendre son pays. Son régiment passe par l’Alsace où il fait la connaissance de Mathilde. C’est le coup de foudre, le choc amoureux de deux cultures, que tout oppose mais qui s’attirent comme deux aimants, deux amants ! Mathilde ne tarde pas à devenir son épouse et à suivre dans son mari dans son pays natal, le pays des autres, rêvant d’une vie « africaine » à la Karen Blixen…


Mais c’est le choc des cultures qui sera la réalité quotidienne de la jeune femme, confrontée à une belle famille qui ne la comprend pas, elle la non musulmane… Un pays où c’est l’homme qui décide. Combien de fois Mathilde entendra-t-elle « C’est comme cela au Maroc ! » …


Puis vient le temps des efforts et des déconvenues qui rongent la vie du couple. Amine et Mathilde sont partis s’installer dans une ferme près de Meknès. Amine, homme droit, honnête, travailleur, s’acharne à transformer son domaine fait de terres arides, rocailleuses en un beau verger comme ceux d’en face, appartenant à des colons. Mathilde et Amine ont deux enfants, de quoi combler une mère dans ce pays de tradition. Mais cela ne suffit pas pour Mathilde. Elle a tout simplement besoin de sortir, de vivre. Et son mari ne la comprend pas malgré ses efforts. Elle trouvera tout de même de bonnes âmes pour l’écouter partager sa souffrance. Sa belle-sœur Selma deviendra sa meilleure amie, Dragan le médecin l’aidera dans son projet de dispensaire.


Dix années plus tard, à la fin du livre, Amine a réussi à transformer ses terres en belle exploitation agricole. Mais c’est aussi le temps de l’insurrection nationaliste qui met la campagne marocaine à feu et à sang, période trouble qui se terminera par l’indépendance du pays en Février 1956. Et les couples mixtes ne sont pas bien vus en cette période-là.


Ce livre raconte par l’action plus que par la réflexion, l’histoire de ce couple franco-marocain avec ses forces, ses faiblesses, ses convictions, mais aussi son amour. Amour qui finira par être le plus fort quand Mathilde reviendra au Maroc, dans ce qui est désormais son pays, après un séjour en France, seule, suite au décès de son père.


Leila Slimani a su donner de l’épaisseur, de la vie aux personnages, traitant chacun avec douceur, sans jugement de valeur, car le monde n’est pas un mais multiple. Les personnages se forgent par ce qu’ils disent, ce qu’ils font, peu à peu, à l’image d’une sculpture qui se révèle jour après jour sous les coups de burin de l’artiste pour lui donner vie et consistance.


L’auteure ne cache pas la vie, les espoirs déçus de nos deux héros, qu’elle fait parler à la troisième personne du singulier très fréquemment dans le livre. Doit-on y lire la voie de Leila Slimani en filigrane, faisant ainsi le lien avec ses grands parents ? Car c’est aussi de cela dont il s’agit. Le livre est un retour sur un passé familial, un livre à cœur ouvert comme pour donner force et puissance à cet héritage qui est le sien.


Le pays des autres, c’est le pays d’un autre que l’on croyait sien, parce que l’amour semble plus fort que tout et qu’il va permettre de tout surmonter. Mais la réalité rappelle vite à la raison, et Leila Slimani excelle à exposer la complexité et l’ambivalence des relations : celles des autotochnes avec les colons, celle des femmes avec leurs maris, celle d'une culture avec une autre. Rien n’est simple…


Leila Slimani a fait un pari avec ce livre, celui de parler d’une époque coloniale compliquée, de la complexité des rapports dans les couples mixtes. Elle n’était pas la première à le faire et prenait le risque d’un déjà vu mille et une fois. Mais elle a su trouver sa voie, avec un éclairage inédit, la voie de la tendresse, du non jugement de l’autre qui font de ce livre une belle réussite !


J’attends avec impatience le second tome et vous invite à aller voyager comme moi du côté du Pays des Autres, vous y ferez de belles rencontres.


aux éditons Gallimard - 03/2020 - 368 pages


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