Né en 1947, Denis Tillinac est mort le 26 septembre 2020, un an jour pour jour après Jacques Chirac, dont il était un ami proche. Journaliste et écrivain, il a publié une cinquantaine de livres, des romans, des essais et quelques biographies et a été récompensé par de nombreux prix littéraires.
« Le Patio Bleu », dernier roman de l'auteur publié deux mois après sa mort, se lit comme un testament, tant il reprend ses thèmes favoris, sur l’air bien à lui de la nostalgie, sa disposition naturelle. Grâce à la bande d’amis de cette « tragi-comédie, comme un film de Sautet » (on pense à Vincent, François, Paul et les autres sorti en 1974 !) le lecteur tombe sous le charme délicat des rêves inassouvis, des sentiments flous, des promesses illusoires de ces personnages pourtant si justes.
Le livre nous conduit dans le Gers, à Condom, petite commune rurale, où un groupe d’amis réunis autour de Marie-Anne, se retrouve au Patio Bleu à l’heure de « l’apéro ». Autour de la table il y a David, le mari de Marie-Anne, Bob, le médecin, Chloé, Véro et les autres. Leurs projets sérieux ou farfelus, leurs histoires d’amour finies ou renaissantes, leurs soucis, leurs secrets et les Gilets jaunes nourrissent leurs conversations et le temps qui passe...
A l’heure de sa retraite de diplomate, le narrateur a trouvé sa place dans cette communauté à la suite de nombreux postes à l’étranger ou à Paris. Après des décennies dans les coulisses du pouvoir sous la présidence de François Mitterrand, au cabinet d’un Ministre (le père de Marie-Anne), il n’aime plus l’élite parisienne. Influencé par son amie de toujours Marie-Anne, dont il ne peut se passer, il a, en effet, décidé de s’installer dans cette charmante sous-préfecture du Gers, pour fuir la capitale si artificielle, pour échapper aux méfaits du nouveau monde et pour jouir d’un « épicurisme somnolent ».
Le narrateur, comme Denis Tiilinac sans doute, porte un regard ironique sur le monde politique, dont il connaît si bien les codes, les clans, les combines locales, les pièges et les lâchetés. Les souvenirs ressurgissent cependant dans sa mémoire de sexagénaire. Insatisfait de sa carrière dans les ministères ou dans les ambassades et déçu par ses rencontres amoureuses, il avait rêvé d’un rôle romanesque sans jamais l’atteindre et il en ressent un sentiment d’inachèvement. Très attaché à ses origines, à ses parents, et plus largement à la culture française, il regrette tout ce qui a disparu avec eux, comme s’il assistait à la fin d’une civilisation.
Il épingle avec humour ce nouveau monde, qui se substituerait à l’ancien, avec son cortège de bobos, ses rêves d’une vie « bio et cool », ses mœurs relâchées, son manque de tenue.
Denis Tillinac peint avec brio une galerie de personnages croqués avec un sens aigu de l’observation et une plume inimitable, parmi lesquels se distingue Marie-Anne, l’âme de la « maison du bonheur ». D’une beauté classique, elle assume à la perfection tous ses rôles, en particulier auprès de son père ministre. Secrète, pudique, parfois mélancolique, elle reste mystérieuse même aux yeux du narrateur, alors qu’ils partagent une amitié indéfectible et rare.
La mort d’êtres chers est très présente, elle provoque chez lui, au-delà de la perte, une sorte de retour aux sources. Le narrateur (l’auteur ?) évoque la sienne plusieurs fois, comme un signe prémonitoire. Il y a dans cet écrit posthume comme un regard désenchanté sur la vie, une certaine nostalgie d’un temps révolu qui ne reviendra plus, celle d’une gauche soixante-huitarde, novice, arrivant et découvrant la réalité pouvoir.
Avec « le Patio Bleu », Denis Tillinac nous laisse juste avec ce qu'il a toujours voulu : faire partager à ses lecteurs son cœur, sa pensée, à travers un nouveau livre, mais cette fois sans lui. Merci l'artiste pour cette dernière élégance.
Une belle lecture qui clôt une vie d’auteur, et nous laisse l’envie de lire d’autres ouvrages de cet amoureux de la Corrèze !
Pascal François
Le Patio Bleu – Denis Tillinac – Ed. Presse de la Cité – 11/2020 – 320 pages
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