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Photo du rédacteurBéatrice Bernier Barbé

Camarade Papa - de Gauz


Où allons-nous ? Aux Pays-Bas, en France, en Côte d’Ivoire.


À quelle époque ? Entre le début du XXème siècle et les années 80.


Venez, je vous raconte de quoi il est question :

Après Debout-Payé premier roman paru en 2014, salué comme un véritable succès littéraire et ayant remporté de nombreux prix, Armand Gauz nous offre ici un ouvrage historique surprenant au style parfois « coupé-décalé » très ivoirien, publié en 2018 aux éditions Le Nouvel Attila.


Camarade Papa, un roman écrit en double temporalité


L’histoire se déroule dans deux espace-temps différents avec d’un côté Maxime Dabilly, un jeune Français qui décide de tout quitter après le décès consécutif de ses parents.


« Trois semaines, deux enterrements et une succession qui se résume à ma personne. Seul propriétaire de la Galerette, j’ai le sentiment de n’être jamais parti. La terre fixe les corps et les esprits. Si on ne me revoit pas, la Congrégation enverra un prêtre. Il trouvera maison close. L’idée me vient à l’écoute du martin-pêcheur. » (P.33-34)


Il fuit sa campagne profonde, travaille un temps dans une manufacture d’armes à Châtellerault, puis se débrouille pour rejoindre La Rochelle, direction la Côte de l’ivoire.


Nous sommes maintenant à la fin des années 1970. Anouman est un jeune garçon « Boni-marrons » qui vit dans un quartier communiste et populaire d’Amsterdam. Au départ de sa mère, « Camarade papa » (son père) l’envoie en Côte d’Ivoire, sur un continent dont il ne connait absolument rien ! L’enfant a reçu une éducation très « rouge ». Et il se retrouve en total décalage avec les autres lorsqu’il débarque en Afrique. Voici un petit aperçu de son arrivée à l’aéroport d’Abidjan, lorsqu’il attend que l’on vienne le récupérer, en compagnie de la police :


« Tentative de corruption sur agent révolutionnaire en mission. Même si on me met au pied du mur sur les chaises du cimetière, je ne dirai rien. Résistance. […] Dans le bureau de la répression du peuple souverain, le repas du perfide est tout étrange. Il ne ressemble à rien que je connais. […] J’ai peur du poisonnement mais il y a du rouge dans la sauce. Et puis la dictature du prolétariat ne peut pas se faire le ventre vide. Je saute sur le plat suspect, l’avale en moins de temps qu’il faut à Camarade Papa pour mettre en marche inexorable le char-d’assaut-aspirateur du CRAC. » (P.121)


J’ai rarement eu l’occasion de lire un livre aussi déroutant de par son style d’écriture. L’auteur y superpose deux romans d’apprentissage en un. Alors, je dois avouer que ce jonglage entre Maxime et Anouman m’a un peu désorientée au début de ma lecture, mais cette approche littéraire m’a permis d’apprécier réellement l’ouvrage. Et par moment, Camarade Papa m’a fait penser à La porte du voyage sans retour de David Diop. Un autre pays, certes, une autre époque, mais des corrélations dans ces voyages du bout du monde entrepris par de jeunes hommes français tombés amoureux de l’Afrique.


Gauz : un travail d'historien pour asseoir le récit du livre.


Gauz a effectué ici un énorme travail de recherches historiques. Avec Maxime Dabilly, l’auteur nous embarque dans une expédition inédite le long du fleuve Comoé et jusqu’à la frontière de la Côte-de-l’Or (l’actuel Ghana), en passant par Grand-Bassam, escale de salut.


« Émotion, sursaut de courage, je lève la tête. Dans la danse de la proue, s’alternent des voûtes et des lignes. Le chant s’intensifie, la terre se rapproche. Oui la terre, mère dure, mère sûre, ne bouge pas, ne tangue pas, n’essaye pas d’étriper ses enfants. Terre ! Tout chante. » (P.73)


Et avec Anouman, l’auteur nous livre le portrait d’un enfant particulièrement drôle (malgré lui) et sensiblement attachant, balloté entre une éducation communiste, d’un côté, et une approche libéralisatrice, de l’autre. À chaque pensée d’Anouman, on se délecte de ses réflexions à la fois ingénues et pertinentes !


« Émile et Geneviève me trouvent en plein complot international contre le vendeur de bière Lumumba. Ce sont eux l’oncle et la tante venus me cueillir. Le perfide, la brute et ma tribune populaire m’accompagnent jusqu’à la voiture d’Émile. Une Fiat 127, avec le grand « F » de fasciste sur l’étiquette et la chemise brune sur la carrosserie. […] Je crie que les Fiat sont des voitures fabriquées à la sueur des fronts populaires sur l’échine courbée des masses laborieuses pour enrichir une famille italienne aussi collabo que les Philips hollandais. » (P.123)


Armand Gauz nous propose une lecture à plusieurs dimensions à travers un récit d’un nouveau genre. Il met en exergue l’histoire de la colonisation dans cette partie du monde : une quête axée sur le pouvoir, l’économie et la politique de la France et de l’Angleterre qui se livraient bataille pour conquérir la Côte d’Ivoire du XIXème et du XXème siècle.


« D’Assinie à Bondoukou, probablement plus loin encore, depuis longtemps, il se dit : « C’est l’Anglais qui commande à tous les Blancs. La différence entre les Français et les Anglais est la même qu’entre les femmes et les hommes ! » Comme les papillons migrateurs, personne ne sait d’où vient cette idée. Sedan n’est pas loin. Drewin, Lahou, Dabou, Grand-Bassam, Assinie, partout dans le golfe de Guinée, forts et garnisons battant pavillon français sont vidés de leurs militaires partis guerroyer l’Allemand. Suit une longue absence pendant laquelle les seules forces blanches en Afrique sont Anglaises. » (P.208)


Mais l’auteur offre aussi une vision positive de l’Histoire à travers les mélanges culturels et identitaires qui découlent de cette période.


Camarade Papa, c’est le fruit d’un métissage culturel, d’un mélange des langues aux sonorités universelles, un pont entre différentes cultures.


Belle lecture à vous et bravo à l’auteur pour ce second roman !


Béatrice Bernier-Barbé


Camarade Papa – Armand Gauz – Ed. Nouvel Attila – 08/2018 – 19 pages


Retrouvez Béatrice Bernier-Barbé sur son blog : www.Bernierbarbébéatrice.com



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